SUPERFLEX
par
Lars Bang Larsen
Critique et curateur danois travaillant à Copenhague
Editeur associé de la revue Siksi (Finlande)
1998
Les trois étudiants de l'Académie des Beaux-Arts de Copenhague qui, collectivement, se présentent sous le nom de SUPERFLEX exposent à leur manière l'"esprit du temps" et leur image de marque aux yeux de tout le monde. Pour parler de façon littérale, Rasmus, Bjørnestjerne et Jakob se produisent en uniforme quand ils font des apparitions publiques. SUPERFLEX ne se considère pas comme un groupe d'artistes, au sens strict, mais comme un corps coordonné entre l'art, l'entreprise, la vie et la recherche.
Il n'est pas facile de situer SUPERFLEX. Il y a quelque chose de frivole dans leur projet qui se décrypte déjà tout simplement à travers leur nom : "SUPERFLEX " qui évoque une poudre protéinée pour culturistes. En soi, le nom n'est rien de plus qu'un amalgame de deux stances, tellement typiques de notre époque. Il exprime la rhétorique générale et surfaite de la culture-spectacle. Les projets de SUPERFLEX possèdent donc aussi une ironie dynamique conséquence de leur esthétique entrepreneuriale militante. Mais il ne s'agit pas seulement d'un jeu aux signifiants vides car SUPERFLEX est sur le point de conquérir l'Afrique.
Ce qui rend l'image de marque de SUPERFLEX si différente de celle de tant d'autres artistes flirtant avec ce type de concept, c'est qu'ils ont créé par eux-mêmes la possibilité de faire la différence. SUPERFLEX travaille en Afrique sur le développement d'un système d'énergie simple, écologique, sain, au travers d'une utilisation productive d'un processus biologique naturel : le biogaz - en d'autre termes "Ne gaspillons pas les restes". Pour le projet "Biogaz" SUPERFLEX a collaboré avec des ingénieurs. L'objectif est la production en série d'un dispositif bon marché et facilement transportable pour traiter le biogaz. Cet équipement permettra d'utiliser les déchets biologiques et aussi, dans l'idéal, de rendre les consommateurs africains auto-suffisants en fonction de leurs besoins en énergie. Le résultat espéré est une ressource en biogaz avec un réacteur mesurant 5 m3 qui produira environ 3m3 de gaz par jour, c'est-à-dire 1 055 m3 par an, ce qui est suffisant pour la consommation courante d'une famille. Le prototype du dispositif Biogaz se présente sous la forme d'un container en plastique orange enterré dans la terre de telle façon à ce que le haut du tank avec le logo SUPERFLEX soit visible. Le premier container a été installé en été 1997 en d'abord Tanzanie puis au Mozambique et au Malawy avec des aides économiques diverses provenant d'organisations humanitaires et de fondations danoises qui soutiennent l'art.
Bien que la valeur sociale du Biogaz soit facile à énoncer selon les principes humanitaires, la qualité artistique de ce travail est étrange et difficile à manier pour qui utilise les méthodes traditionnelles d'évaluation critique. Superflex a spectacularisé son voyage de recherche initiale en Afrique en faisant une combinaison de happening artistique et d'éducation générale, arrivant habillés des pieds à la tête dans des uniformes SUPERFLEX coloniaux de leur cru - pas vraiment le costume le plus neutre dans un pays comme le Mozambique qui a été déchiré par une guerre civile. De cette façon, SUPERFLEX pose des questions : le dispositif Biogaz est-il une forme de "colonialisme éthique"? Ou bien est-il un projet porté par une bande d'artistes-étudiants inoffensifs qui imitent les méhodes des entreprises multinationales dans le désir d'accomplir quelque chose de réel et d'aider leur prochain?
Si l'idée du dispositif Biogaz SUPERFLEX devait rencontrer le succès en Afrique, les trois artistes tiennent une chance de faire un profit symbolique demesuré. La perspective - dans le cas extrême - serait de placer le dispositif orange Biogaz avec le logo SUPERFLEX dans toutes les arrière-cours de l'Afrique centrale. Mais alors que le dispositif Biogaz en tant qu'oeuvre d'art devient beaucoup plus intéressant s'il résout vraiment un problème humain, simultanément, un certain doute naît sur la légitimité morale du projet, s'il débouche sur le succès. Nous parlons là d'un pouvoir économique réel et séculaire qui va bien au-delà de la critique institutionnelle et de l'actionnisme politique.
Si le projet Biogaz devait avorté, la question se pose alors de savoir quels écarts l'art peut se permettre. Il est certain que le pouvoir, dans ce cas, repose sur la santé écologique et humanitaire, mais cela pose un défi violent à l'autonomie de l'art. Tout ceci bien sûr est du domaine du pronostic. Mais attendons la suite, car le prochain siècle appartiendra peut-être à SUPERFLEX.
Traduction Anne-Marie Morice (1998)