Votez Mr Peanut

Soumis par admin le sam 27/11/2021 - 12:29

par René Viau

En 1974, l'artiste canadien Vincent Trasov a mis sur pied à partir du spectacle électoral une unique performance.
Basée sur l'ironie et l'appropriation des procédés de la culture de masse, cette démonstration, à la fois satirique et convaincante, voulait ainsi décrypter les mécanismes de conditionnements imposés par les médias.

Vincent Trasov Mr Peanut

Un des fondateurs à Vancouver du groupe d'artiste Image Bank et du Western Front, un centre autogéré par des artistes, Vincent Trasov s'est inspiré de la publicité des cacahouètes Planter's pour revêtir le haut de forme, la canne, les gants blancs, les guêtres et le costume en forme d'écaille d'arachides du personnage de Mr. Peanut que l'on retrouve sur tous les produits et les publicités de la marque.

A l'époque l'impact de cette figure publicitaire en Amérique du Nord, pouvait se comparer en France à celle du légendaire bibendum Michelin.

Après avoir réalisé plusieurs performances et actions sous ce déguisement, Mr. Peanut décida de se présenter comme candidat à la mairie de Vancouver à l'occasion des élections municipales. L'investiture de Mr. Peanut à l'Hôtel de Ville fut massivement soutenue par les militants du "Peanut Party". Pour ceux-ci, Mr. Peanut apparaissait comme un candidat logique et tout naturel puisque, résumait alors un supporter, "les gens ont l'habitude d'élire des noix".


 

Vincent Trasov
Vincent Trasov 1972

Aux yeux du maire sortant M. Art Philipps, bon joueur, le défi fut avant tout un challenge amusant.

Cependant les autres candidats ne manquèrent pas de se plaindre de l'immense popularité de Mr Peanut en s'indignant contre cette publicité gratuite. Revues, journaux, magazine, journaux télévisés s'emparèrent de cette image. Bientôt on ne parla plus que de Mr Peanut dont la présence relevait une campagne qui sans lui serait apparue comme terne et sans éclat.

Lors de ses apparitions en public, Mr Peanut faisait des cabrioles en se faisant accompagner du groupe des Peanettes. Ce groupe de jolies filles dansaient et chantaient tout en déployant, une à une, des bannières aux inscriptions débutant par l'une des lettres du mot PEANUT.

Chaque lettre était suivie d'un mot clef en résumant de cette façon la plate-forme électorale du parti :

  P   pour Performance.
 
E   pour Elegance
  A   pour Ant (fourmi)
 
N   pour Nonsense
  U   pour Uniqueness (unique)
 
T   pour Talent

Bien qu'il ne fut jamais élu, Mr Peanut reçut néanmoins 2 745 votes.

"Notre programme, expliquait à l'époque M. John Mitchell, chef de campagne et porte-parole de Mr. Peanut, est basé sur un principe très simple.
L'art multidisciplinaire et la politique ne doivent faire qu'un, car pour nous l'art est le seul outil de changement véritablement effectif. "

Vincent Trasov alias Mr. Peanut réalisa par la suite plusieurs vidéos sur le sujet dont My Five Years in a Nut Shell (1975) produit par le Western Front à Vancouver.

Le travail qui résume cependant de la façon la plus éloquente cette action est la compilation des innombrables articles de presse et bandes magnétoscopiques où figurait Mr Peanut.

Bien que Mr. Peanut n'aie jamais dit un mot et qu'il se soit contenté de faire pour les photographes et les cameras de télé quelques pas de danse kitsch à la Fred Astaire, les médias se sont appropriés de cette coquille vide et prégnante pour en faire une sorte de réceptacle ouvert à leurs propres interprétations.

En détournant la prestation de Mr. Peanut, on pouvait lui faire dire absolument n'importe quoi, intervenant simplement par un commentaire en voix off, modifiant, par des légendes ou des titres, le contexte de la présentation.

Mr Peanut

Avec humour, Vincent Trasov sous les traits de Mr. Peanut démontrait ainsi les manipulations de l'information. Cette critique accusatrice de la mise en scène spectaculaire de la vie politique où le non événement devient un agent actif d'investigation reste encore aujourd'hui d'une grande actualité, notamment en rapport avec cet effondrement généralisé du questionnement dont semble trop souvent faire preuve en 1997 la scène artistique.

René Viau

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