Confidences soutirées par Jean-Jacques Gay
pour Synesthésie 03, 1996
"Tant qu'à parler de choses importantes autant se faire plaisir !" Réalisateur, concepteur et enseignant, artiste multimédia avant tout, Maurice Benayoun travaille au sein de Z.A. Production. Ses recherches sur les réalités virtuelles ont commencé en 1994 par Dieu est-il plat ?, continué par le Diable est-il courbe ?, jusqu'à la construction en septembre dernier du premier tunnel télé-virtuel entre Paris et Montréal : Tunnel sous l'Atlantique. Ces projets de tunnels l'amènent aujourd'hui vers divers projets et peut-être d'un "Tunnel autour du monde" ; mais de quel monde ?
les Quarxs,
il y a l'idée qu'aucune vérité n'est définitive. C'est une chose importante. Dans le travail suivant, j'ai voulu montrer que les représentations que l'on peut produire face à la réalité virtuelle, sont des mondes signifiants qui doivent donner et apporter aux visiteurs une expérience de l'ordre de la révélation. Et quand je dis révélation, j'ai bien conscience qu'il s'agit d'une révélation permanente - on révèle la même chose depuis le début de l'histoire des représentations, mais c'est l'expérience de la représentation qui est différente.
Lorsque je parle de révélation c'est pour signifier qu'il faut avoir quelque chose à dire. Ce que j'ai envie de dire c'est que tant qu'à utiliser des modes de représentation autant le faire pour parler de chose importantes et tant qu'à en parler, autant se faire plaisir.
Dans
Dieu est-il plat ?
voir que la matière brique ne nous résiste pas donne une sorte de satisfaction physique immédiate. Alors même si l'ensemble est relativement désespéré on a une certaine satisfaction à le vivre. Les enfants le vivent d'ailleurs comme un jeu. Ils vont chercher les images, courent après, même si ce sont des illusions.
Dans
le Diable est-il courbe ?
Dès que l'on parle de multimédia on se préoccupe de la complémentarité des sens et de fait, de la complémentarité des informations. Si l'on veut mettre des sons, des images, introduire un rapport tactile avec la matière, il est évident qu'il y a une simultanéité.
La question d'équivalence ou de correspondance entre les sens, c'est autre chose. Il est certain que dans la Réalité Virtuelle on utilise souvent un mode de projections mentales : on fait appel à certains sens sans les solliciter directement, par exemple le contact : le toucher.
on a le sentiment de toucher les formes que l'on rencontre, de les pousser et presque de les caresser. Et ce sentiment-là, on le ressent profondément alors que l'on manipule du bout des doigts une simple souris. C'est le rapport entre le geste déclencheur et l'image qui nous renvoit la sensation de ce contact. Dans ce cas-là, l'immersion dans la réalité virtuelle, quant elle permet des situations de contact, stimule d'autres sens, et notamment le toucher.
Je parle de toucher, mais l'ouïe est aussi importante, parce que c'est le son, sa spatialisation qui va rendre l'impression d'immersion. La capacité de projection du corps dans une scène est d'autant plus grande que le son réagissant à l'interaction donne une solidité à l'espace qui nous entoure et pallie l'absence d'interface liée à certain sens, en créant un complément de sensations qui renvoie évidemment aux sens absents.
Un sens, c'est ce qui nous permet de prendre en compte le réel. Dans la réalité virtuelle, ce qui est absent, c'est le réel, donc, on est complètement dans une représentation. Il est alors certain que la sollicitation des sens par rapport aux représentations est au coeur du problème.
Existe-t-il une finalité à la Réalité Virtuelle, comme d'arriver à une immersion totale dans l'ensemble des sens. Ou est-ce un fantasme d'art total ? Les deux sont-ils destinés à converger d'une manière ou d'une autre ? Car l'art total n'est-ce pas la volonté de solliciter l'ensemble des sens ?
Si l'on va dans cette direction, si on se dit que le but est de solliciter l'ensemble des sens et que dans le cadre d'une production artistique on touche à tout ça avec le désir d'atteindre totalement l'être dans toutes ses connexions avec le monde, il est évident qu'on rejoint l'idée que le "créateur" d'art est une sorte de démiurge. Il se donne pour mission de créer un monde, sinon à quoi bon...
Actuellement , très souvent, lorsque l'on parle de dispositifs interactifs (CD-Rom, Internet, multimédia, au sens étroit comme au sens large, etc.) on trouve toujours des systèmes fonctionnant sur un schéma simple, en liaison directe avec une opération de décision = action / réaction. C'est sans surprise parce que c'est basique. Je pense par contre que les dispositifs interactifs les plus évolués vont aller dans le sens d'une autonomie du monde autant que du spectateur, du visiteur, et d'une inter-relation entre les deux qui va faire que chacun est modifié par l'autre. Le monde pourra être modifié par la simple présence du visiteur/explorateur sans que celui-ci ait même décidé de modifier quelque chose. Simplement parce qu'il est là.
A partir de là on peut imaginer deux tendances. Une hyperréaliste, qui essaye de reconstituer quelque chose fonctionnant exactement comme le monde, et qui le mime dans sa totalité (perceptive illusionniste avec des objectifs d'équivalence). L'autre optique étant une approche symbolique créant un monde complexe qui ne ressemble pas forcément au nôtre. Un monde pour lequel l'ensemble des règles et des principes de fonctionnement à été défini afin de rendre la relation entre ce monde et le spectateur signifiante. Ce que va vivre le spectateur-visiteur dans ce monde sera une expérience riche de sens. A partir de là, il y a un travail d'écriture et non pas simplement une performance technique.
Si je mets dans ce monde un être qui puisse réagir de façon complexe à la présence du visiteur, plus son degré d'autonomie comportementale sera élevé, plus il se rapprochera de ce que l'on appelle "l'intelligence artificielle".
L'être qui habite le ciel dans
le Diable est-il courbe ?
Je crois que le rêve nous fait connaître déjà un grand nombre d'expériences qui évoquent intérieurement l'ensemble des sens.
On voit bien la difficulté qu'il y a à produire matériellement des expériences nouvelles, que ce soit de l'odeur, de la matière : quant on a un certain âge, on a connu déjà énormément de choses. La réalité virtuelle nous apportera-t-elle des sensations nouvelles ? Je n'en ai pas fait l'expérience, elle fonctionne plutôt comme de la simulation, par analogies avec notre propre vécu.
Il ne sera possible de créer des sensations nouvelles et fortes que si on arrive à faire émerger un choc, une révélation, semblable à celle que l'on rencontre quand on fait l'amour pour la première fois. Dans ce cas-là on pourra dire qu'une technique de représentation apporte une expérience nouvelle dans l'ordre des sens avec une ampleur qualitative significative.
Après
le Tunnel sous l'Atlantique
je vais continuer dans cette idée que rien n'est définitivement écrit. On sera dans un monde en perpétuelle mutation. Mais ces mutations ne seront pas totalement aléatoires et arbitraires, elles découleront constamment d'un visiteur qui les constatera et les induira.
L'interaction la plus forte c'est le dialogue, situation entre deux individus en présence, relation dans laquelle passe un grand nombre de messages qui ne sont pas forcément décidés par chacun des locuteurs.