Vidéo et photo
Les oeuvres vidéo de Michèle Waquant enregistrent flux et passages.En elles se matérialise une coexistence inédite de l'ici etde l'ailleurs, de la proximité et de la distance.
L'artiste a ainsi couplé le boulevard périphériqueparisien et le fleuve qui entoure Montréal dans une piècepour plusieurs écrans, filmée en 1990, et intituléeLes bruits blancs.
Le flot des voitures qui s'agglutinent dans les clameursurbaines y est enregistré en un mouvement quasi biologique commele ferait l'oeil détaché d'un biologiste se penchant sur l'agitationdes globules rouges et blancs de la circulation sanguine.
A cet engorgement répond le calme fluvial et les rythmes naturels desgrands espaces du Saint-Laurent. Avec lenteur, des navires céréaliersy évoluent.
Opposition nature et culture mais encore?
Par ce télescopage de lieux, Michèle Waquant nous rappellequ'elle est à la fois québécoise et d'origine française.Ses références culturelles et sensorielles sont tributairesde son appartenance à ces deux géographies.
L'idéede double distance marque sa production.
La technique même de la vidéoaccentue ce regard décalé.
Faire fondre la glace
Autre installation vidéo, Impressions Débâcle harnached'insaisissables génies du lieu. L'objectif enregistre le momentexact durant lequel la couche de glace qui recouvre en permanence l'hiverla rivière québécoise, La Chaudière, se fracasseà l'occasion d'un court printemps en libérant les eaux tumultueuses.Sous nos yeux, un même champ visuel se transforme, passant de l'étatsolide à la fluidité. L'évocation de MichèleWaquant s'apparente, en plus discret, à la tradition du Sublime dansla peinture anglaise. Mais à cette dramatisation des phénomènesnaturels et à cette théorie récurrente de la catastrophe,l'artiste oppose avec ambiguïté le contraste d'une manièrepoétique, de sa faculté d'immersion ambiante et atmosphérique.L'autorité du témoignage est ainsi diluée au profitd'une grande prégnance sensorielle et d'un souci de la «composition»,au sens muscial du terme.
Danse avec les loups
Tenues à l'écart, contenues, «exilées» également,les forces de la nature résistent à toute domestication. Pourcette «frise» vidéo qu'était Loups en 1982, ellea planté son appareil devant une cage dans laquelle ces bêtestournent en rond.
L'éthologie, l'obsession territoriale et la volonté primalede marquage du site se retrouvent dans cette autre bande 212, rue du FaubourgSaint-Antoine (1989). On voit des petits vieux astiquer sans cesse et briquerde façon compulsive leur cadre de vie. La médiation de MichèleWaquant devient méditation sur ce temps qui s'écoule et quiglisse et sur lequel on tente, non sans dérision, d'avoir prise....L'aliénation se résout ainsi dans le fugitif auquel renvoiele dispositif vidéographique.
Mosaïques et carreaux cassés
Il faut avoir vu l'exposition des photographies de Michèle Waquantà la galerie Caroline Cheminade, à Paris, du 7 novembre au8 décembre, intitulée Resto U Dijon. Une photo d'un décorbanalement kitsch façon années 60 en est le point de départ.Les carreaux cassés de la céramique deviennent prétextesà des fresques combinatoires quasi matissiennes. A partir d'un lieuanodin à la limite du sordide quotidien , l'intervention de MichèleWaquant développe une poétique bachelardienne de l'espace.L'évocation s'ouvre vers spectateur à travers les géométrisationsludiques de cette grille mosaïque accentuée par le collage photographique.
L'arrêt sur image et la tentation retenue vers la "picturalité"éclairent d'une même façon Pensées d'étépour Simone (1996) que l'on peut voir à Hérouville-Saint-Clairdu 27 novembre au 7 décembre. Le thème de la fenêtreest un appel à la contemplation et à l'ouverture. En mêmetemps, la fenêtre est une aire trouble de fluctuations et de déplacements.
Ici et ailleurs
Si , comme l'écrivait Rimbaud, la vraie vie est ailleurs, tout lieupeut devenir autre. Les bagnolets (1995) exposée à la BiennaleInternationale de l'Image de Nancy du 13 janvier au 9 février estune installation vidéo et sculpture avec volumes et projections del'entrée triomphale vers cette banlieue parisienne. Sur l'un desécrans, la caméra effleure lentement les reflets argentésdes gratte-ciel des Mercuriales. Ailleurs, elle emprunte les passages desescalators qui montent et descendent et s'attache aux évolutionsdes passants. Cette icône du quotidien est brossée avec uncurieux alliage de détachement émerveillé. L'on songeà un aquarelliste davantage captivé par le spectacle de lalente imprégnation sur papier des nuages fluides gonflés d'encrede Chine et d'eau qui composent le paysage sous ses yeux que par l'observationet l'élan de la transcription de ce point de départ àl'aide de larges traits sténographiques.
René Viau
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