par Morten Salling
Commissaire de l'exposition Signes extérieurs
Signes extérieurs
Les lieux publics en général, les infrastructures routières et piétonnes en particulier n’ont jamais été autant investis par l’image (publicitaire, politique ou simplement informative). Le citoyen s’est habitué à ce déferlement de stimuli optiques au point le plus souvent de cesser de s’interroger sur leurs origines, leur sens et leurs objectifs. Face à cette réalité sociale, politique et culturelle et bien que leurs zones d’impact respectives demeurent étonnamment distinctes, plusieurs artistes plasticiens et graphistes sondent, expérimentent et questionnent aujourd’hui cet espace du lieu commun visuel soumis au grand public.
Naturellement à son aise dans le contexte de l’ère des réseaux, la profession de graphiste multiplie autant les échanges que les supports pour exercer la pertinence de son regard. Sollicités de toutes parts (de l’affiche traditionnelle aux animations des sites internet en passant par la création de logos, CD, clips musicaux, etc.), les graphistes jouissent d’une discipline éminemment contemporaine décomplexée vis-à-vis des nouveaux outils technologiques. Particulièrement adaptés aux conceptions médiatiques de notre époque, certains de ces graphistes n’acceptent que partiellement l’étiquette de « généralistes de la forme visuelle » et refusent de se limiter à la simple promotion commerciale. Ils ciblent un public diversifié, avec des thématiques plus complexes souvent nourries de préoccupations éthiques.
Ils se rapprochent ainsi d’une catégorie d’artistes plasticiens qui de leur côté ne se soucient pas essentiellement de la notion d’œuvre « originale » mais souhaitent atteindre de nouveaux publics à l’aide du langage et des outils inspirés de l’univers publicitaire, des médias et de la communication visuelle.
L’édition 2004 d’« Art Grandeur Nature » a souhaité rendre compte de cette convergence en réunissant quatre artistes plasticiens – Martine Aballéa, Alain Bublex, Ken Lum et Tania Mouraud – et quatre graphistes – Jonathan Barnbrook, Pascal Colrat, Geneviève Gauckler et Stefan Sagmeister – afin qu’ils portent leurs réflexions sur le thème de l’« image publique » à travers la réalisation d’œuvres spécialement conçues pour cet événement. Ils ont été invités à concevoir des images pour une cinquantaine de panneaux d’affichage 4x3 mètres (format standard des supports publicitaires urbains), installés pour l’occasion de façon disséminée dans cette immense verdure suburbaine qu’est le parc de la Courneuve. L’imagerie introduite dans le tissu végétal amène les visiteurs à découvrir des promenades « pittoresques » plutôt insolites.
Le promeneur repère au fil de la marche des bornes visuelles qui pourraient bien au premier coup d’œil passer pour de curieuses campagnes publicitaires, mais qui se révèlent en réalité être des mises en cause créatives et interrogatives de celles-ci. Par conséquent, les artistes ont également été amenés à porter une réflexion sur ce défi classique connu de tous les publicitaires : la cohabitation de l’image et du texte. Ainsi les images, apparaissant sur un panneau puis sur un autre, sont tantôt prélevées aux sources du flux médiatique de consommation visuelle habituelle dont elles adoptent les codes, tantôt proviennent des prises de vue méticuleuses des auteurs. L’intime se heurte à la monumentalité, le naturel et désertique à la fébrilité urbaine.
Quant aux textes, ils sont déclinés en multiples configurations typographiques, ici très élaborés et aboutis, là ostensiblement « trash » ou maladroits, expressifs ou volontairement elliptiques et discrets. Déguisés en slogans, ils amorcent en deuxième lecture des approches ironiques, politiques, consuméristes ou simplement poétiques. Les interactions texte/image usent de systèmes de signes complexes et ambigus, parfois même conflictuels, qui s’opposent ainsi aux principes et aux codes habituels de l’imagerie informationnelle et publicitaire.
Le temps d’une exposition, le parc renforce sa capacité de mise à distance des stratégies urbaines promotionnelles. Sans nul doute, le transport du panneau publicitaire traditionnel de son contexte urbanisé au parc paysager agit comme une infraction dans l’ordre attendu des choses. Tout comme le déplacement qu’effectuent les artistes invités au sein de la relation de l’image et du texte incite à s’interroger sur le statut de ces propositions et sur les manipulations diverses qu’induit la chose visuelle.
Au fil de l’histoire, les jardins ont souvent été conçus pour illustrer ou prolonger des propos idéologiques. Souvent leur composition et la configuration des éléments sculpturaux et architecturaux installés, et qui rythment la promenade du visiteur (ruines, obélisques, inscriptions, etc.) ont exprimé les valeurs prônées par le pouvoir en place, ou bien ils ont commémoré des temps et des idéaux révolus. Ou bien ils se sont plus simplement manifestés comme des tranches incrustées de prétendues natures sauvages en contraste avec l’espace urbain.
Flash back : l’avant garde et la pub
Dès son origine, la publicité a exercé un pouvoir de fascination sur l’avant-garde artistique. En effet, il y avait peut-être là, en germe, une méthode qui pouvait contribuer à démocratiser un art se pensant résolument moderne et en prise directe sur la nouvelle société bouillonnante d’inventions technologiques et industrielles. Une part non négligeable des artistes exerçaient un véritable travail de graphistes publicitaires et contribuaient largement à développer des chartes typographiques et de mises en pages encore en vigueur aujourd’hui. Les plus radicaux d’entre eux étaient certainement les futuristes qui, dès les années 1910, voyaient en la publicité « l’art de l’avenir ». Leur chef de file, Tommaso Marinetti, appelait à une « révolution typographique » où les mots devraient être « libérés » des mises en pages archaïques, de l’harmonie et de la symétrie, pour enfin trouver une expressivité et des sens à la hauteur de la dynamique et du fantastique brouhaha de la vie moderne. Bien qu’idéologiquement en décalage par rapport au mouvement italien, dont plusieurs acteurs étaient proches de la politique mussolinienne, les constructivistes russes exploraient aussi la mise en image de la parole par le biais de typographies dynamiques afin de trouver un moyen de communication avec des masses populaires encore largement analphabètes. Qu’il s’agisse de l’affiche politique ou de la réclame, les procédés étaient devenus parfaitement industriels. Les mots, les photographies mais aussi les bobines cinématographiques subissaient des découpages et des recollages provoquant des rythmes et des contrastes marquants, pas si éloignés de ce que pouvait ressentir l’individu dans l’univers urbain. Chez des artistes tels que Lissitzky, Maïakovski et Rodtchenko, la réclame, voire la propagande étaient considérées comme des moyens utiles et créatifs dans l’expression artistique et qui rejoignaient en toute logique l’engagement citoyen de l’artiste.
Que l’art rompe ses attaches avec sa vocation bourgeoise décorative et élitiste et s’immerge dans les contraintes matérielles de la vie quotidienne, tels étaient les principes de l’école du Bauhaus fondée en 1919 par Walter Gropius, laquelle sera fermée par les nazis en 1933. Il n’est donc pas surprenant de voir apparaître au sein de cette école, dès 1925, un atelier de typographie et de publicité où allaient se développer des expériences tant théoriques que pratiques autour du concept de « communication de masse » mais aussi des théories relatives à la psychologie publicitaire en relation avec le fonctionnement de la conscience humaine. L’invention d’une « nouvelle typographie » s’imposait pour Laszlo Moholy-Nagy, artiste et professeur exerçant une forte influence au Bauhaus. Afin d’arriver à une « clarté, concision et précision » dans les présentations visuelles urbaines, la typographie et la photographie devaient fusionner en illustrations verbales appelées « typophotos » qui se définissaient comme « le rendu le plus visuellement exact de la communication[1] ». Dans le personnage riche et complexe de Kurt Schwitters, qui enseignait également au Bauhaus, on trouvait à la fois l’agent de publicité prônant la nécessité de messages clairs, simples et modernes, et l’artiste expérimental qui cherchait à élaborer une écriture « optophonétique ». Ce dernier aspect rapproche Schwitters des préoccupations futuristes et constructivistes, mais surtout du mouvement Dada qui semblait être un des seuls à porter, à travers l’image et la typographie, un regard véritablement critique et caustique sur la société contemporaine. Cette attitude à bien des égards « nihiliste » était chez certains artistes accompagnée d’engagements résolument politiques; ainsi John Heartfield qui optait pour l’édition d’écrits et d’affiches figurant ses photomontages où personnages, objets et textes lapidaires, découpés et recomposés, contribuaient à porter, au péril de sa vie, un regard cinglant sur l’actualité au temps de la montée du fascisme et de l’instauration du régime nazi.
L’après-guerre : tension et détournement
L’intérêt continu que portaient les artistes de l’avant-garde pour la composition et la mise en scène de textes et d’images dans l’espace public, et le rapport délicat que certains d’entre eux entretenaient avec la promotion de produits et de services, se sont inévitablement modifiés avec la radicalisation des stratégies publicitaires urbaines lors du boom industriel des années 1950 et 1960. Alors que les artistes Pop anglais poursuivaient et radicalisaient la méthode de collage pour dénoncer l’hypocrisie de la société de masse et ses idoles, en France les nouveaux réalistes, et particulièrement les « décollagistes » comme Raymond Hains et Jacques Villeglé, prenaient le relais des dadaïstes par un travail subtil de décodage de la pratique publicitaire en déplaçant des fragments d’affiches stratifiées et lacérées vers les institutions de l’art. La rupture avec le réel semblait accomplie avec le Pop Art américain dont la critique ne véhiculait pas une dénonciation directe de l’aliénation généralisée mais présentait par son langage impersonnel et neutre une fascination idolâtre pour l’image mass médiatisée. Mais alors que les nouveaux réalistes et leurs homologues anglo-saxons continuaient de produire des objets artistiques destinés à être exposés et commercialisés, leurs contemporains de l’Internationale situationniste tenaient un discours bien plus radical. Chez les « décollagistes », c’était l’arrachement d’un fragment publicitaire et son déplacement dans le contexte de l’art qui apportaient un tout nouveau sens. Les situationnistes opéraient essentiellement par détournement lorsqu’ils dénonçaient le rôle de la publicité dans la mise en spectacle de la société et des rapports sociaux entre les individus. Ils effectuaient, souvent avec humour, des unions forcées de fragments publicitaires et de légendes politiques et révolutionnaires restant ainsi en marge du domaine des arts visuels mais aussi, pour une grande partie, de l’espace public en général.
L’air que respirait à cette époque le bon citoyen occidental était en effet « un composé d’azote, d’oxygène et de publicité[2] ». Une inflation optique dans l’espace public s’était mise en route à cette époque pour ne plus freiner, ce qui ne pouvait pas ne pas modifier considérablement le regard, la vision de l’individu, comme le remarquait Roland Barthes à cette époque dans ses écrits sur la publicité. Indéniablement, les messages graphiques faisaient désormais partie du paysage urbain, « tout comme la terre faisait partie de l’horizon du paysan », et le constituaient parfois à part entière[3]. Si cette tendance n’a pas fondamentalement changé depuis les années 1950, c’est par contre la mainmise complète des stratégies publicitaires sur l’univers télévisuel et les mass media en général et, plus récemment, sur l’immense espace public numérique qu’est l’internet qui caractérise sensiblement l’époque récente. À cela s’est ajoutée une démarche promotionnelle bien plus subtile, à savoir la capacité de s’infiltrer dans des territoires qui se trouvaient en général au-dessus de tout soupçon à l’instar des éditoriaux et reportages journalistiques de grands quotidiens, de certains mouvements underground culturels et même de certaines causes sociales. La stratégie publicitaire est devenue au fil du temps un véritable terrain de recherche et d’expérimentation au sein même des groupes industriels où se mêlent les sciences sociales, la psychologie appliquée, la méthode d’enquête sociologique, etc.[4]. C’est avant tout la culture jeune qui est aujourd’hui harcelée par les produits des grandes marques dont les moyens d’expression ne connaissent plus de limites (à noter par exemple le succès des magalogues, catalogues promotionnels déguisés en magazines branchés et pseudo-cultes). Souvent, il ne s’agit plus de promouvoir telle ou telle marchandise mais, à travers une panoplie de services et de produits, de promouvoir des styles de vie. Il y a comme une sorte de liquéfaction des produits qui amène inévitablement à des interrogations sur les véritables buts de certaines démarches publicitaires. La marque (le logo) et les messages (les slogans promotionnels) semblent prendre le pas sur le produit, constituant ainsi des réseaux de médiatisation pure dont le but essentiel vise à créer du désir : « La publicité élargit le fossé entre ce que vous avez et ce que vous désirez. Vouloir acheter quelque chose est alors une réponse aux sentiments d’insatisfaction, d’envie et de manque. Un état de conflit perpétuel. C’est sur ces émotions-là qu’on a construit une économie mondiale et une philosophie dominante, encourageant l’acte de dépense en vue d’accroître son bonheur personnel, son bien-être et, finalement, son identité[5]. » Une identité qui tout de même doit répondre à une standardisation psychologique où la spécificité des consommateurs individuels et leurs réels besoins n’ont plus lieu d’être.
Une résistance créative
Roland Barthes rappelait que les contestations du « conformisme publicitaire » s’avéraient souvent être des actes de « véritable création ». La réaction la plus efficace contre le message publicitaire consistait, selon lui, « non pas à refuser ou à oblitérer ce message, mais à le dérober, à le falsifier, en combinant d’une façon nouvelle les unités qui le composent d’une façon à première vue naturelle[6] ». Suivre la recommandation de Barthes et vivre la publicité comme une « citation », non comme une « fatalité », voilà ce qui se généralise depuis quelques décennies à travers les multiples mouvements de « résistance culturelle » (culture jamming) qui se sont notamment développés là où la frénésie publicitaire est la plus marquée, à savoir dans les pays anglo-saxons. Il s’agit de différentes formes d’interceptions, « des contre-messages qui s’emparent de la méthode même de communication » des grandes sociétés[7]. Le magazine anti-pubs Adbusters basé à Vancouver au Canada, est un des opérateurs les plus « prestigieux » en la matière. Depuis 1989, ce réseau international de graphistes et d’acteurs culturels en général propose de nouvelles formes d’activisme social adaptées à l’ère numérique et met ses connaissances à la disposition d’autres organisations qui souhaitent militer internationalement. Adbusters se veut un agitateur « écologique » au sens large du terme en ayant pour but d’examiner les relations entre l’homme et son environnement physique et mental. Il est par ailleurs à l’origine de plusieurs campagnes de « marketing social » comme la « Journée sans achat » (Buy Nothing Day) ou encore la « Semaine sans télévision » (TV Turnoff Week). « Attention ! Les panneaux publicitaires sont devenus aussi omniprésents que la souffrance humaine, aussi difficiles à ignorer que la main tendue du mendiant. » Le Front pour la libération des panneaux publicitaires (the Billboard Liberation Front) met sur son site à disposition des internautes un mode d’emploi donnant les instructions pour « hacker » un panneau publicitaire, c’est-à-dire d’y intervenir ni vu ni connu afin de modifier intelligemment le message initial de la publicité. En quelques pages, le novice apprend à bien préparer son action, bien adapter couleurs et texte, comment disparaître discrètement après ou comment réagir en cas de prise en flagrant délit, etc.[8]. Ces deux initiatives de résistance ainsi que de nombreuses autres ne se limitent pas à une remise en cause des stratégies publicitaires excessives. Naomi Klein, dans son ouvrage « No Logo », souligne justement que ces agitations s’inscrivent le plus souvent dans des démarches bien plus larges que l’on qualifie aujourd’hui d’« altermondialistes » et qui questionnent la marginalisation des cultures et l’effacement de la diversification individuelle dans les grandes négociations officielles entre nations[9]. C’est notamment dans cette perspective qu’il faut situer le manifeste First Things First (D’abord l’essentiel), initiative d’Adbusters rendu public en 1999. Il s’agissait d’une façon simple et sincère de redorer le blason des designers graphiques qui pourraient aujourd’hui apparaître aux yeux des citoyens-consommateurs comme de vils serviteurs, fidèles aux grands groupes multinationaux. Une réflexion sur les priorités s’est imposée afin de développer une communication constructive et engagée avec une attention accrue à l’égard des crises sociales, culturelles et environnementales. Et ceci en exploitant l’incroyable gamme de supports qui sont aujourd’hui à la disposition des graphistes. Ce texte était en réalité une adaptation, une « mise à jour » d’un manifeste du même titre publié fin 1963 par le graphiste anglais Ken Garland, à l’époque où en France les nouveaux réalistes, les situationnistes et Roland Barthes disséquaient selon des modalités très différentes l’univers publicitaire. Les deux manifestes ont ainsi contribué à susciter de multiples débats autocritiques dans le monde du design graphique dans l’espoir de faire naître une déontologie commune pertinente.
Le graphisme militant a cependant connu une évolution très créative en France durant cette même période. Aux antipodes d’un Cassandre qui pendant l’entre-deux-guerres déclarait que le graphiste devrait agir en « télégraphiste » sans avis, en établissant une communication « claire, puissante, précise[10] », ou d’un Raymond Lœwy pour qui le graphiste devait contribuer à « donner au consommateur ce qu’il veut, et en abondance[11] ! », se dessinaient dans les années 1960 et 1970 de nouvelles démarches engagées, bien éloignées des sphères commerciales. L’importance alors de la notion de « collectivité » se traduisait par l’apparition d’associations, de groupes comme entités artistiques. Grapus (1970-1991) représente certainement le mieux ce modèle de lutte créative où il s’agissait de « combattre la langue rigide de la rhétorique traditionnelle sans la remplacer par le doux poison de la publicité[12] ». Loin de considérer le graphiste comme un simple domestique au service de son commanditaire, Grapus effectuait une remise en cause complète du perfectionnement auquel aspirait le graphisme publicitaire contemporain, tant sur un plan photographique que typographique. Ses clients – associations, structures culturelles et sociales – n’avaient pas de grands moyens mais partageaient des convictions communes. Cette éthique ainsi que l’esprit collectif se sont maintenus après l’éclatement de Grapus. En témoignent les multiples activités des structures comme, par exemple, Les Graphistes associés, Nous travaillons ensemble et Ne pas plier mais aussi Bazooka et son style hétéroclite et punk de la fin des années 1970. Le travail que mène aujourd’hui Ne pas plier s’est avéré particulièrement original dans la mesure où l’acte graphique (et photographique) ne prend sens qu’à travers la voix des gens marginalisés selon la devise qu’aux « signes de la misère ne doit pas s’ajouter la misère des signes, à l’exclusion du langage, les langages d’exclusion[13] ». Côté arts plastiques, les interrogations sur l’impact des stratégies publicitaires dans la société contemporaine se sont régulièrement exprimées depuis les années 1970. Deux tendances semblent se dessiner. Une première inspirée essentiellement du dadaïsme et du situationnisme a poursuivi des recherches et réflexions sur le statut de l’objet et de l’image en tant que marchandises et sur l’implication du message et de l’icône dans la finalité mercantile. Une deuxième plus récente et souvent plus conceptuelle a procédé à une exploration des multiples niveaux des mécanismes et des stratégies commerciales, par le biais du déguisement ou de la simulation, souvent en menant la démarche artistique derrière l’apparence de logos ou de noms de sociétés. On constate ces dernières années dans le domaine culturel des préoccupations certes communes entre graphistes et artistes plasticiens mais souvent abordées de façons distinctes. D’un côté des graphistes plus en phase avec les actes militants du terrain qui proposent des savoir-faire concrets, des « services publics », dans une logique de complémentarité en collaboration avec d’autres organismes. De l’autre, des artistes plasticiens qui œuvrent d’une manière souvent plus libre et détachée des finalités concrètes en développant des modèles de vies fictives ou imaginaires à l’origine desquelles se perçoivent des inquiétudes sociétales semblables. Les deux démarches semblent délimiter un territoire de recherches et d’actions permettant d’investir un volet de la création artistique contemporaine par-delà les catégories du graphisme en tant que pratique dite « appliquée » ou de l’art en tant que discipline « majeure ». Se profilent ainsi des formes plastiques adaptées à notre société de spectacles publicitaires et qui trouvent des bases artistiques et théoriques réelles permettant de décrypter et comprendre les multiples facettes de la notion même de « communication (de masse) ». Ce qui paraît néanmoins tout aussi clair, c’est que ces nouvelles modalités de représentation ne peuvent trouver leur véritable pertinence que dans une logique de résistances, de réactions ou de ripostes, en parasitant et exploitant les supports des réseaux médiatiques investis ou créés par les grandes industries de communication dans les espaces réels ou numériques; au risque dans certains cas, mais cela fait partie des enjeux, de provoquer des confusions inattendues, de passer inaperçues ou bien de fournir aux concepteurs publicitaires en mal d’inspiration de nouvelles pistes esthétiques et stratégiques. Ce qui n’a en effet rien de nouveau.
Morten Salling
[1] Lazslo Moholy-Nagy, « Malerei, Fotografie, Film », cité par Richard Hollis, dans Le Graphisme au XXe siècle, éditions Thames & Hudson, Paris, 1997, p. 60. [
2] Le publicitaire Robert Guérin cité par Anne Saint-Dreux dans « Un siècle de publicité », Art & Pub, éditions du Centre Pompidou, Paris, 1990, p. 74.
[3] Roland Barthes, « Société, Imagination, Publicité », 1968, Œuvres complètes, tome II, 1966-1973 (sous la direction d'Éric Marty), éditions du Seuil, Paris, 1994, p. 508.
[4] Voir à ce sujet Martine Joly, Introduction à l’analyse de l’image, chapitre « Image prototype », éditions Nathan, 2001, p. 59.
[5] Jelly Helm, professeur de publicité, dans Rick Poynor, La loi du plus fort – la société de l’image, éditions Pyramid, Paris, 2002, p. 147.
[6] Roland Barthes, op. cit., p. 516.
[7] Naomi Klein, No Logo – la tyrannie des marques, éditions Actes Sud, 2001, p. 424. [8] Voir le site www.billboardliberation.com.
[9] Naomi Klein, op. cit., le chapitre « Zero Logo », pp. 419.
[10] Dans Pierre Bernard, « Faire du graphisme, c’est faire le graphiste », Le Journal des arts déco, n° 15, éditions de l'ENSAD, 1999, p. 79.
[11] Richard Hollis, op. cit., p. 129.
[12] Ibid., p. 196.
[13] Cité par Margo Rouard-Snowman dans le catalogue Ne pas plier, Stedelijk Museum, Amsterdam, éditions Ne pas plier, Ivry-sur-Seine, 1995, p. 9.