PETITE MERDE ROUGE

Soumis par admin le mar 24/08/2021 - 18:01

"PETITE MERDE ROUGE"

Fkêche ubo
Bien avant le cataclysme, la population devait subir une lente période de décrépitude puis d'anéantissement. Même si certains d'entre eux osaient résister aux corruptions et aux dominations démentielles des gouvernants, la plupart, impuissants et désemparés sombrèrent dans la résignation puis la déchéance.

Le déclin dura une trentaine d'années pendant lesquelles la civilisation se décomposa progressivement. Elle fut d'abord destructurée par une hégémonie cybernétique planétaire terrifiante et un contrôle absolu des médias programmé par la mafia fasciste provoquant une inflation galopante puis un crach boursier mondial. Les incidences furent sans précédents et les populations allaient endurer les pires épreuves; une généralisation du terrorisme et de l'extrémisme des sectes, puis des guerres éthniques et religieuses aberrantes sur tous les continents, avec pilonnage systèmatique, massacres, orgies collectives, barbarie, internement, terreur quotidienne, contamination chimique et bactériologique à outrance, esclavagisme, manipulations génétiques à grande échelle, transplantation en série, torture, mutilation inouïe, génocide, sauvagerie permanente, famine, épidémie en chaîne provoquant ravages et dégénérescence absolue. Le désastre s'étendait à l'infini détraquant les plus vigoureux trop dégoûtés et hallucinés par ce chaos, cette décomposition contagieuse, ces émeutes dévastatrices. Un ultime sursaut délirant fut pourtant tenté par un groupe d'oppresseurs forcenés et psychopathes pour réagir à l'inéluctable effondrement de la civilisation, mais leurs moyens furent trop insuffisants et le matériel trop endommagé pour organiser avec efficacité un régime totalitaire mondial, cette opération violente finale qui épuisa les dernières ressources fut un échec encore plus destructeur. La terre entière ravagée par la tourmente et la folie n'était plus qu'un grand capharnaüm effroyable de ruines, d'immondices, de créatures hébétées, malades et démentes. Le peuple hagard, annihilé à l'extrême par tant d'années de misère pullulait dans les zones post-urbaines comme une horde de zombies éparpillés en tous sens. Ils cherchaient le moindre abri sordide parmi les tas d'ordures, se dépouillant les uns les autres de leurs loques misérables. Par groupes hirsutes et révulsés, les créatures rongées de croûtes et de pus contagieux erraient en vacillant dans les crevasses nauséabondes pour tenter de fuir l'enfer mais il n'y avait aucun bord à la désolation et l'horizon glauque et fumeux ne révélait qu'un même amas sinistre et désespérant à perte de vue. Parfois des bruits moins épouvantables, plus familiers que ces hurlements hystériques accoutumés, rappelaient l'existence humaine, alors les gémissements des bougres agonisants boursouflés d'abcès et de putréfaction leur semblaient une complainte plus rassurante car les défaillances ultimes offraient la délivrance puis le grondement sourd des éboulements de déchets visqueux glissant lentement dans les trous couvrait de nouveau les lamentations comme si ce qu'il restait de la race humaine n'était plus qu'un amas gluant et exorbité parmi les carcasses et les gravats gris. Recroquevillés et tremblants au fond des anciennes catacombes et des tunnels éventrés, enfouis dans cet abîme infernal comme des taupes furieuses égarées dans les canalisations, chacun pour soi mais regroupés dans ce cauchemard, ils s'adaptaient peu à peu aux conditions insupportables de cette nouvelle existence sordide et effrayante. Malgré cette démence collective avancée, partageant la vie des rats et des vers, ces pauvres diables, cannibales cruels et contraints, semblaient éprouver le besoin d'une organisation, certains mêmes s'étaient reproduits et les larves ratatinées par l'obscurité se developpaient faiblement comme des animaux des abysses, tétant sauvagement pire que des sangsues les caillots des mamelons gangrènés des pauvres femelles qui avaient mis bas comme on vomit des foetus. Ces avortons aveugles et globuleux étaient une proie désirée. Les créatures abominablement bestiales étaient si voraces qu'aucune des progénitures ne semblait pouvoir échapper à leur rapacité. Les trous étaient aussi sujet de convoitise. A chaque éboulement, les rescapés devaient rechercher des nouveaux trous et c'était encore des batailles frénétiques pour plonger dans ces viscères occupés. Les bidonvilles souterrains étaient précaires et leur occupation très périlleuse. L'organisation sous terre était si pénible que certaines créatures plus courageuses préféraient mourir volontairement à la surface. Ils grimpaient alors au sommet des décharges géantes, escaladant les amoncellements de décombres et des scories rouillées, s'écorchant sur chaque empilement instable et saillant en laissant gicler un jus brun et foncé très coagulant puis sans jamais atteindre l'extrémité des accumulations monstrueuses, ils s'effondraient exténués contre les escarpements, butant encore sur les excavations acérées qui se formaient au rythme de l'ascension puis disparaissaient à jamais engloutis, gobés dans une fente imprévisible qui se refermait brutalement dès l'absorption achevée, rejoignant ainsi le trou qu'ils fuyaient. Les suicides absurdes et troublants montraient que les créatures au plus profond de leur avilissement n'étaient pas totalement démunies d'espérance, ces tentatives ne manquaient pas de dignité dans cet univers terrorisant.

La vie infernale se poursuivait au gré des ensevelissements impromptus, nuit après nuit, au fond des cavités grouillantes, des créatures obscènes se tortillaient, se tripotaient parmi les rognures, forniquant dans leurs grabats pouilleux au milieu des flaques d'excréments où bien délirantes et convulsées, elles s'affrontaient avec fougue par des combats impulsifs d'une telle violence que leurs cris déchirants retentissaient dans les fosses voisines, déclenchant des émeutes hystériques incontrôlées qui causaient pertes vaines et abondantes parmi le troupeau condamné. Le temps s'écoulait comme une urine évaporée des brèches et des trous. Les créatures avaient désormais envahi chaque fistule des sous-sols et les labyrinthes sombres engorgés des débris de la civilisation déchue avaient été fouillés sans relâche pourtant parfois les créatures découvraient encore parmi la détérioration quelques fragments d'objets reconnaissables qui provoquaient la stupéfaction de toutes.

Puis soudain ce fut le choc effroyable, l'éclair foudroyant provoqua une tempête de poussière épouvantable. L'explosion très lointaine avait dégagé une chaleur insupportable. Le cataclysme s'était propagé avec une telle fulgurance que tout avait été propulsé, criblé ou fondu. La puissance était telle que plus rien ne paraissait semblable au décor antérieur. Le paysage désolé, chambardé était laminé par les roches en fusion et les coulées s'engouffraient dans les cratères. Ce qui semblait auparavant chaotique et abject était devenu sujet de nostalgie. L'épaisse fumée foncée flottait comme une masse terrifiante ondulant lourdement au-dessus des tas disloqués. Ce n'était plus que désert apocalyptique et le typhon toxique avait déchaîné les éléments provoquant des phénomènes inconnus jusqu'à ce jour. Les réactions chimiques qui en découlaient avaient déclenché des processus aberrants, modifiant imperceptiblement la matière vivante déjà estropiée. L'énergie était tellement dégradée qu'elle perturbait les oxydations naturelles, inhibant tout organisme par des croissances ou des dilatations phénoménales. La nuage constant était si dense qu'il modifiait l'état gazeux et décalait les cycles jusqu'à destabiliser l'air de la troposphère. C'est l'oxygène triatomique qui avait subi le plus les effets du déchaînement, toute la chaîne des combinaisons avait été touchée et les mélanges d'anhydribe sulfureux et carbonique avaient endommagé les structures. L'ammoniaque s'était répandu au détriment de l'azote et les radiations déviées par les masses ne garantissaient plus une photo synthèse efficiente.

Malgré la déflagration atomique, les ondes de choc et le déferlement de bouillasse irradiée qui avait enseveli la plupart d'entre elles, certaines créatures étaient parvenues à survivre, épargnées par des cavernes mieux orientées. Enténébrées dans ces gouffres épouvantables, les créatures allaient subir des nuits sans fin à explorer les varices béantes du magma bouleversé. Les trous occupés par des petits groupes de créatures semblaient sans orifice, le déplacement des roches tièdes et collantes avait masqué les fentes, les bloquant aussi parfois, de sorte que les créatures prisonnières étaient enterrées vivantes sans être toutefois privées d'aération. Au fond des terriers, des puits avaient été creusés, le bouillonnement et les cloaques de la bouillie qui dégoulinait sur les parois recouvertes de troglobies, imbibaient les chairs flasques et infectes. On confondait les étrons puants des bêtes cavernicoles avec les moignons ignobles des affamés qui dépeçaient de leurs membres mutilés les monticules d'équarissage rassemblés pour les repas. Comme des pantins hideux et sauvages, ils labouraient les boyaux enchevêtrés d'entrailles putrides pour y arracher des lambeaux noirs qu'ils raclaient avant de les ingurgiter sans répulsion car leur survie ne dépendait plus qu'aux micro-organismes plaqués sur la pourriture et dans les cloques percées des charognes. Cette couche de mousse formée par la réaction chimique des souillures puantes écumant à la surface des dépouilles était devenue vitale. les créatures survivaient grâce à cette saloperie proliférante. La mutation que ces êtres avaient entamée par la force des évènements précédant le cataclysme permettait de supporter cette pitance odieuse et pathogène sans conséquence mortelle. Au comble de la régression, ils étaient passés à un nouveau stade d'évolution sinistre et devenaient les hôtes particuliers de ces ténèbres hypogées tout en conservant leurs capacités originelles. Affectés de cette double nature, ils s'aventuraient hors des trous, mais les mutants ne s'attardaient guère car les prédateurs adaptés aussi aux nouvelles conditions étaient d'une férocité impitoyable. Un groupe de mutants avait pu extraire du fracas extérieur bouleversé par l'explosion, quelques débris qu'ils transformaient en outils rudimentaires. Ils confectionnaient d'étranges engins pour rogner les galeries et parfois, lorsqu'ils franchissaient une paroi moins résistante, ils découvraient avec stupeur de nouvelles cavités dont certaines étaient bourrées d'objets incongrus qu'ils étudiaient soigneusement. Les plus vieux, lorsqu'ils n'étaient pas tétanisés, avaient de vagues souvenirs mais la mémoire jaillissait brutalement avec une telle incohérence qu'une fois les flashs diffus, tressaillants et surpris de cette plongée dans le temps, ils s'enfuyaient dans l'obscurité en braillant comme des trisomiques, des mots inachevés ou glossolaliques. Quelquefois aussi, ils pleuraient avant de sombrer dans des convulsions diaboliques qui leur étaient fatales. Parmi l'un des groupes, une mutante plus jeune avait dessiné d'étranges formes que les créatures hybrides semblaient apprécier. Le goulot supérieur de la galerie était entièrement décoré de signes élémentaires, des ronds, des croix, des carrés, des bâtons qu'elle grattait nerveusement à l'aide d'un tesson. Elle avait gravé des flèches et des spirales aussi que l'on pouvait distinguer malgré les vapeurs épaisses qui recouvraient l'espace. Elle paraissait différente. Les mutants l'appelaient "petite merde rouge" (little red shit)...

 

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(A SUIVRE)