LES CIRCULATIONS MIGRATOIRES

Soumis par admin le lun 29/11/2021 - 13:40

Contribution de Dana Diminescu au numéro 14 de la revue Synesthésie, en 2002.

Ce texte introduisait au séminaire sur la mobilité organisé par Groupe d'Etudes sur l'Usage des TICs dans les Migrations, un centre de recherche permanent créé par Dana Diminescu à la MSH-Paris. Ce séminaire avait été organisé en partenariat avec la MiRe (Mission Recherche du Ministère des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité) et l'Institut de la Ville en Mouvement.

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Les circulations introduisent du changement tant dans les institutions, longtemps considérées comme des référents stables, que dans les constructions identitaires et dans l’imaginaire social. Les mouvements de personnes affectent les façons de faire, les imaginaires et les organisations sur différents plans – économique, politique et idéologique. Il est donc nécessaire de comprendre les migrations comme un des éléments essentiels de la circulation et de la mobilité qui marque le monde d’aujourd’hui. D’où la nécessité d’un autre paradigme spécifique pour comprendre les nouvelles formes migratoires qui, de plus en plus, caractérisent les migrations internationales ( M Hilly, E. MaMung).

Un programme de six recherches sur le thème des circulations migratoires destiné à renouveler les approches des questions d’immigration centrées depuis les années 1975 sur les problématiques d’intégration, a été lancé en 1999 par la Mission Recherche (MiRe/DREES) avec l’appui de la Direction de la population et des migrations (Ministère de l’Emploi et de la Solidarité) et du fonds d’action sociale des travailleurs migrants. Ce programme proposait aux chercheurs de cerner les nouvelles formes de mobilités migratoires. Les travaux  présenté ici (dont les notes de synthèse sont téléchargeables) montrent en quoi des champs migratoires spécifiques peuvent se constituer sans impliquer d’installation définitive et avec un capital social ou financier fort restreint.

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Tous les observateurs des déplacements de population du XXe siècle indiquent un changement considérable dans l’évolution des migrations internationales. Bien que les arguments et les approches  sur la nature du changement diffèrent, tous les auteurs situent la rupture dans la tournant des années 80.

La mondialisation des flux migratoires, la diversification des réseaux (ils ne sont plus seulement familiaux ou communautaires mais circonstanciels, transnationaux et souvent interethniques), l’apparition de nouveaux pays ou continents de provenance et de destination,  l’instabilité  et l’autonomie du projet migratoire, sont parmi les traits les plus significatifs de ce tournant.

D’une part, il est invoqué un changement d’échelle (masse de population et fréquences des déplacements, diversité sociale, densité des échanges et prolifération des réseaux migrants) dans les mouvements de peuples (R. Robertsen, S. Saasen) ; d’autre part est mis en avant l’impact des nouvelles  technologies d’information et communication  (TIC) dans le monde global (inclusif dans les sociétés de migrants) (D. Diminescu).

 « Ce n’est que depuis une vingtaine d’années, en effet, que les médias et les migrations ont pris cette dimension massivement globale, leur activité débordant sur de vastes et irréguliers terrains transnationaux » - explique Arjun Appadurai[1]. « La relation mouvante et imprévisible entre les événements transmis par les médias et les publics en déplacement est pour Appadurai le cœur même du passage de la modernité vers la globalisation. Les moyens de communication électronique et les migrations en masse s’imposent aujourd’hui comme des forces nouvelles, mais moins sur un plan technique que sur le plan de l’imaginaire. Ensemble ils créent des décalages spécifiques dans la mesure où les téléspectateurs circulent en même temps que les images »[2].  Ainsi, la rupture dans l’histoire des migrations est-elle décrite comme une instance culturelle de la globalisation, comme un  nouvel ordre d’instabilité  dans la création des subjectivités modernes, dont les porteurs sont en premier lieu les migrants, « ces anonymes de la mondialisation » (J. Cesary).

 Cette approche culturaliste de la rupture, due à la convergence des phénomènes de diffusion électronique de l’information et du déplacement massif de population est transnationale, - voire post-nationale, et, rejoint à ce titre, les analyses socio-économique (ou alternatives, voire A. Portes, A.Tarrius) des nouveaux flux migratoires, responsables d’une  « mondialisation par le bas ».

La vulgate de la mondialisation par le bas réfère à une forme alternative d’adaptation économique des immigrés et à une réaction « par le bas » à la reconstruction mondiale. Elle a fait entrer dans la littérature sociologique les entrepreneurs transnationaux issus de l’immigration. Pour éviter les travaux pénibles certains travailleurs immigrants se convertissent en entrepreneurs informels faisant jouer leur capital social.

Après la crise des années 70,  cet « entrepreneur sans entreprise mais avec des relations » (M.Granovatter, A.Tarrius, M.Peraldi) s’impose comme une figure idéale-type dans le spectre des populations migrantes, mais l’activation des réseaux s’est avérée  un « savoir-faire », qui dépasse largement le monde et la carrière des commerçants circulants (D. Dimnescu) et ne semble pas non plus appartenir exclusivement aux temps contemporains.

D’après certains chercheurs, le modèle de va-et-vient entre le pays d’origine et le pays d’installation, et « la conversion des solidarités et des liens établis pendant la mobilité en relations productives et économiquement efficaces » propres aux entrepreneurs migrants, forment un paradigme qui traverse constamment l’histoire des migrations (H. Asséo, N. Forner). Pourtant, nous sommes tous d’accord avec l’évidence empirique qui montre que jamais les migrants n’ont été aussi présents, à la fois dans leur pays d’origine, et dans ceux qu’ils sillonnent ou résident, et surtout jamais si mobiles.

Dana Diminescu

[1] Arjun Apadurai,  Après le colonialisme, les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot, 2001, p.36

[2] ibid. p.29

Liste des études :

       ·  Catégories et lieux des circulations migratoires
Marie-Antoinette  HILY et Emmanuel MA MUNG, Hassan BOUBAKRI, Isabelle BOUHET, Suzanne CHAZAN, Yücel GUL, Christian RINAUDO, Stéphane DE TAPIA, Alain TARIUS,
Avec la collaboration de Lamia MISSAOUI, Fatima LAHBABI, Pilar RODRIGUEZ, Juan-David SEMPERE (2002)

       ·  Les ressorts de la diaspora tamoule en France.Associations, médias et politique
Angélina ETEMBLE (2001)

       ·  La circulation migratoire de quelques nouveaux migrants chinois en France
Carine PINA-GUERRASSIMOFF, Eric GUERRASSIMOFF, Nora WANG (2002)

       ·  Les circulations migratoires roumaines : une intégration européenne par le bas ?
Dana DIMINESCU, Rainer OHLIGER,Violette REY (2001)

       ·  Une recherche comparative : politiques d’accueil,insertion sociale et circulation migratoire.
         Les réfugiés kosovars évacués à Lyon et à Montréal au printemps 1999
Frédérique BOURGEOIS, Denise HELLY, en collaboration avec Isabelle PERRAULT et Olivier BRACHET (2001)

       ·  Les dynamiques migratoires dans l’Union Européenne. Ajustements sur les marchés du travail et comparaison Europe - Etats-Unis
El Mouhoub MOUHOUD et Joël OUDINET (2003)

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